Plot Summary
Naissance d'une Erreur
Zahra naît dans une famille iranienne où sa venue au monde, en tant que fille, est vécue comme une déception. Son père, son grand-père, tous espéraient un garçon. Dès l'échographie, la sentence tombe : « Désolée, c'est une fille. » Les hommes de la famille envisagent même l'avortement, mais y renoncent, faute de moyens. Zahra grandit avec le sentiment d'être une erreur, une existence tolérée par défaut. Sa mère, seule alliée, lui donne le surnom affectueux de « Badjens », mauvais genre, comme une promesse de résistance. Cette naissance marque le début d'une vie sous le signe du manque d'amour paternel, du poids de la tradition, et d'une identité féminine déjà condamnée à l'invisibilité.
L'Ombre du Frère-Roi
L'arrivée de Mehdi, le frère tant attendu, relègue Zahra à l'arrière-plan. Mehdi devient le centre de toutes les attentions, le fils-roi, tandis que Zahra s'efface, invisible, jalouse, mais résignée. Les anniversaires fastueux de Mehdi contrastent avec la modestie de ceux de Zahra. Elle comprend vite que son rôle est d'obéir, de ne pas faire de vagues, d'être la fille silencieuse. Cette dynamique familiale façonne son rapport au monde, à la masculinité, et à la soumission attendue des femmes. Zahra se construit dans l'ombre, apprenant à se taire, à s'effacer, à survivre dans l'indifférence.
L'Incendie de l'Oubli
Un incendie nocturne révèle la place réelle de Zahra dans sa famille : oubliée, laissée seule dans la fumée, elle doit s'échapper par ses propres moyens. Ses parents et son frère sont déjà dehors, sauvés, et son père s'exclame, presque amusé, qu'ils l'avaient oubliée. Ce traumatisme fonde chez Zahra une capacité à se dédoubler, à survivre en s'inventant une autre elle-même. L'incendie devient le symbole de son sentiment d'abandon, de la nécessité de se sauver seule, et de la solitude fondamentale qui l'accompagnera tout au long de sa jeunesse.
Double Vie, Double Peau
Zahra apprend à vivre avec deux visages : l'un pour l'extérieur, l'autre pour l'intérieur. À l'école, elle se conforme, obéit, cache ses cheveux, récite les prières. À la maison, elle retrouve un peu de liberté, aidée par sa mère, complice silencieuse. Cette dissociation devient un mécanisme de survie dans une société où la moindre mèche de cheveux peut être source de honte ou de punition. Zahra développe une identité fragmentée, oscillant entre soumission et rébellion, entre l'enfant sage et la Badjens effrontée.
L'École des Silences
Sous le regard des portraits des ayatollahs, Zahra subit l'endoctrinement religieux et sexiste. L'institutrice, Madame Jamchidi, distribue des friandises mais impose aussi le tchador et le maghnaé, symboles de la soumission féminine. La « Fête des Devoirs » marque l'entrée dans la puberté et l'obligation du voile. Zahra ressent la violence de ces rites, la peur de l'enfer, la honte de son corps. Mais c'est aussi à l'école qu'elle découvre la force de la littérature, la beauté des poèmes, et la possibilité d'un autre monde, même interdit.
Initiation au Foulard
À neuf ans, Zahra reçoit son premier foulard, cadeau empoisonné qui marque son entrée dans l'âge des interdits. Le voile devient une prison, un rappel constant de la surveillance masculine et divine. Les règles sont strictes : pas de cheveux qui dépassent, pas de maquillage, pas de vernis. Zahra se plie à ces injonctions, mais une colère sourde naît en elle. Elle comprend que le foulard n'est pas qu'un tissu, mais un outil de domination, une frontière entre l'enfance et la soumission adulte.
Les Rituels de la Soumission
Les vendredis chez la grand-mère sont rythmés par les prières, les récits de martyrs, et la glorification du sacrifice masculin. Zahra découvre l'histoire de son grand-père, héros de la révolution, et la soumission de sa grand-mère, mariée de force, battue mais admirative. La religion, omniprésente, justifie toutes les violences et les inégalités. Zahra s'interroge sur le sens de ces rituels, sur la place des femmes, et sur la possibilité d'un autre destin que celui de la résignation.
Premiers Désirs, Premières Hontes
L'adolescence de Zahra est marquée par la découverte du désir, de la honte, et des tabous. Avec son amie Leyla, elle expérimente la complicité, les secrets, les premiers gestes de rébellion (se raser les cheveux, se travestir pour entrer au stade). Mais la sexualité reste un terrain miné : le viol par son cousin Ali, le silence imposé, la culpabilité, la peur d'être jugée. Zahra se réfugie dans les réseaux sociaux, les amitiés virtuelles, et la création artistique pour survivre à la violence de son environnement.
L'Injustice des Corps
Zahra et ses amies subissent la surveillance constante de leur corps : hymen, virginité, poils, menstruations, tout est sujet à contrôle, à honte, à punition. Les violences sexuelles, le harcèlement, la peur de perdre son honneur ou d'être tuée pour s'être défendue, sont omniprésents. Zahra assiste à l'exécution d'une jeune fille ayant tué son violeur, comprend l'ampleur de l'injustice, et ressent une rage profonde contre le patriarcat, la charia, et la société qui sacrifie les femmes.
La Révolte des Cheveux
Les cheveux deviennent le terrain de la révolte : on les laisse pousser, on les tresse, on les coupe en signe de deuil ou de protestation. Zahra et ses amies jouent avec les codes, transgressent les interdits, se réapproprient leur corps. Les cheveux, interdits de visibilité, deviennent l'étendard d'une génération qui refuse l'effacement. La sororité se tisse dans ces gestes, dans le partage des douleurs et des espoirs, dans la volonté de ne plus se taire.
Les Amies, Sœurs de Lutte
Leyla, Sepideh, et les autres amies de Zahra forment une communauté de soutien, de confidences, et de rébellion. Ensemble, elles partagent leurs blessures, leurs secrets, leurs rêves d'émancipation. Les soirées entre filles, les tatouages clandestins, les confidences sur les violences subies, tout devient acte de résistance. L'amitié féminine apparaît comme un rempart contre la solitude, la honte, et la peur, un espace où l'on peut enfin être soi-même.
Le Poids des Traditions
Zahra observe sa mère, femme forte mais résignée, qui a sacrifié ses rêves pour la famille. Elle comprend la complexité des compromis, des petits arrangements avec la dictature, des stratégies de survie. Les traditions, la religion, la famille, tout pèse sur les épaules des femmes, mais Zahra hérite aussi de la force de sa mère, de sa capacité à contourner les interdits, à transmettre l'espoir, à encourager la désobéissance discrète.
Les Murs Ont des Cris
La révolte s'inscrit sur les murs de la ville : slogans, graffitis, cheveux coupés, foulards brûlés. Zahra et ses amies participent à cette insurrection symbolique, la nuit, armées de bombes de peinture et de courage. Les mots deviennent des armes, les murs des espaces de liberté. La peur change de camp, la parole se libère, et la solidarité féminine s'affirme dans l'action collective, malgré la répression.
L'Éveil de la Colère
Les injustices s'accumulent : la mort d'Ali, la répression des manifestations, la violence policière, la censure. Zahra sent la colère monter en elle, irrépressible. Elle refuse désormais de se taire, de se soumettre, de porter seule la honte et la culpabilité. La colère devient moteur de transformation, d'action, de prise de risque. Zahra s'affirme, ose défier l'autorité, et rejoint le mouvement de contestation qui gronde dans tout le pays.
La Mort de Mahsa
L'assassinat de Mahsa Amini par la police des mœurs bouleverse Zahra et toute une génération. Sa mort devient le symbole de l'oppression, mais aussi le point de départ d'une révolte inédite. Les rues s'embrasent, les femmes arrachent leur voile, les slogans « Femme, Vie, Liberté » résonnent partout. Zahra se reconnaît dans Mahsa, comprend que sa lutte est celle de toutes les Iraniennes, et que le temps de la peur est révolu.
L'Insoumission Contagieuse
La contestation gagne toutes les villes, tous les milieux. Les femmes, jeunes et moins jeunes, se lèvent, se soutiennent, se réapproprient l'espace public. Les réseaux sociaux amplifient la voix des opprimées, les témoignages affluent, la solidarité s'organise. Zahra, d'abord spectatrice, devient actrice, participant aux manifestations, aux actions de désobéissance, aux rituels de libération. La peur change de camp, la société vacille.
Le Feu de la Liberté
Zahra, portée par la foule, monte sur une benne à ordures, brandit son foulard, l'embrase d'un geste déterminé. Ce feu, symbole de libération, de courage, de rupture avec la soumission, illumine la nuit de Chiraz. Zahra n'a plus peur, elle se sent vivante, fière, enfin visible. L'acte individuel rejoint la révolte collective, la flamme se propage, rien ne sera plus jamais comme avant.
Femme, Vie, Liberté
Zahra, touchée par une balle lors d'une manifestation, s'effondre, mais son cri résonne : « Femme, Vie, Liberté ! » Son geste, son courage, son sacrifice deviennent le mot de passe d'une génération. Les femmes iraniennes, longtemps réduites au silence, ressuscitent par la parole, l'action, la solidarité. Le roman s'achève sur l'espoir d'une renaissance, d'une société où les femmes ne seront plus jamais invisibles.
Characters
Zahra / Badjens
Zahra, surnommée « Badjens » par sa mère, incarne la lutte intérieure et extérieure d'une jeune fille iranienne contre l'oppression patriarcale et religieuse. Née « erreur », elle grandit dans l'ombre de son frère, subit l'indifférence paternelle, la violence symbolique et physique, et l'injonction à la soumission. Son parcours est marqué par la honte, la peur, mais aussi par une force de résilience et de révolte. Zahra se construit à travers la dissociation, la complicité maternelle, l'amitié féminine, et la création artistique. Son évolution, de la résignation à l'insoumission, fait d'elle le symbole d'une génération en quête de liberté et de reconnaissance.
Maman (la mère de Zahra)
Maman est le pilier affectif de Zahra, sa confidente, son modèle de courage discret. Elle a sacrifié ses rêves pour sa famille, a appris à contourner les interdits, à survivre dans un monde d'hommes. Son amour se manifeste par de petites attentions, des gestes de soutien, des encouragements à la désobéissance douce. Elle incarne la transmission de la résilience, la capacité à plier sans rompre, et l'espoir d'un avenir meilleur pour sa fille. Son évolution, de la résignation à la complicité active, fait d'elle une figure maternelle émancipatrice.
Mehdi (le frère)
Mehdi, le frère choyé, incarne la préférence masculine, l'injustice familiale, et la reproduction des schémas patriarcaux. Il est le centre de toutes les attentions, dispensé de corvées, encouragé à dominer. Son comportement cruel envers les insectes, son indifférence à la souffrance de Zahra, illustrent la violence ordinaire du genre. Mehdi n'évolue guère, restant le symbole de l'enfant-roi, futur homme dominant, mais il sert de repoussoir à la quête d'émancipation de sa sœur.
Leyla
Leyla est la meilleure amie de Zahra, sa confidente, sa complice dans la rébellion. Ensemble, elles partagent secrets, douleurs, premières transgressions, et solidarité face à la violence masculine. Leyla subit elle aussi l'inceste, la honte, le silence, mais trouve en Zahra un soutien indéfectible. Leur amitié, parfois teintée d'ambiguïté amoureuse, devient un espace de guérison, de résistance, et d'invention de nouveaux possibles. Leyla incarne la force de la sororité et la capacité à survivre malgré les blessures.
Ali (le cousin)
Ali, le cousin d'abord protecteur, devient l'agresseur sexuel de Zahra. Son geste, fruit d'une société qui banalise la domination masculine, laisse une blessure profonde. Plus tard, Ali meurt lors d'une manifestation, récupéré par le régime comme martyr. Son destin tragique illustre la complexité des victimes et des bourreaux dans un système oppressif, et la difficulté de faire justice dans une société où la parole des femmes est niée.
Mâmân Zari (la grand-mère)
Mâmân Zari incarne la transmission du patriarcat, la religiosité, et la glorification du sacrifice. Elle a elle-même subi un mariage forcé, la violence conjugale, mais reste admirative de son mari martyr. Son amour pour Zahra est conditionné par l'obéissance aux règles, à la religion, à l'honneur familial. Elle représente la génération des femmes soumises, mais aussi la complexité des liens intergénérationnels et la difficulté de rompre avec l'héritage du passé.
Madame Jamchidi (l'institutrice)
Madame Jamchidi, institutrice pieuse et stricte, impose le voile, la discipline, et l'endoctrinement religieux. Mais elle offre aussi des moments de douceur, de poésie, et finit par se révolter elle-même contre le système. Son évolution, de l'agent du pouvoir à la complice des élèves, illustre la possibilité de transformation, même chez les figures d'autorité, et la force de l'éducation comme lieu de résistance.
Dariouch
Dariouch, jeune homme rencontré par Zahra, incarne l'espoir d'une relation égalitaire, la découverte du désir, mais aussi la reproduction des schémas sexistes. Leur histoire d'amour, brève et intense, se termine sur l'injonction masculine à la sexualité, révélant la difficulté d'échapper aux normes patriarcales, même dans l'intimité. Dariouch est à la fois une échappée et une désillusion, un miroir des contradictions de la jeunesse iranienne.
Sepideh
Sepideh, amie de Zahra et Leyla, d'abord préoccupée par l'apparence, les réseaux sociaux, et la séduction, évolue vers l'engagement militant. Elle participe aux manifestations, abandonne ses préoccupations superficielles, et rejoint la lutte collective. Son parcours illustre la capacité de transformation des jeunes femmes, la force de l'engagement, et la diversité des chemins vers l'émancipation.
Mi-cha
Mi-cha, amie sud-coréenne rencontrée en ligne, offre à Zahra une fenêtre sur un autre monde, d'autres possibles, d'autres formes de résistance. Leur amitié, fondée sur la complicité, la différence, et la solidarité internationale, permet à Zahra de relativiser sa condition, de rêver d'exil, mais aussi de choisir de rester et de lutter. Mi-cha incarne la force des réseaux, la puissance de la connexion, et l'espoir d'une sororité sans frontières.
Plot Devices
Voix intérieure et dédoublement
Le roman adopte une narration à la première personne, plongeant le lecteur dans la psyché de Zahra. Le dédoublement identitaire, la voix intérieure, et les dialogues avec soi-même traduisent la dissociation imposée par la société. Ce dispositif permet d'exprimer la complexité des émotions, la violence du silence, et la nécessité de se réinventer pour survivre.
Symboles corporels et objets
Les cheveux, le foulard, le corps, le sang, le tatouage, deviennent des symboles récurrents de l'oppression et de la libération. Chaque objet, chaque geste (se couvrir, se découvrir, se tatouer, se couper les cheveux) porte une charge politique et émotionnelle. Ces symboles structurent la narration et incarnent la lutte pour la réappropriation de soi.
Flashbacks et ellipses
Le récit est construit par fragments, alternant souvenirs d'enfance, scènes du présent, et anticipations. Les flashbacks permettent de comprendre la genèse des traumas, la transmission des violences, et la construction de l'identité. Les ellipses traduisent les non-dits, les silences, et la difficulté à raconter l'indicible.
Polyphonie et chœur féminin
À travers les dialogues, les témoignages, les réseaux sociaux, le roman fait entendre une polyphonie de voix féminines. Les histoires individuelles se fondent dans un chœur collectif, amplifiant la portée de la révolte. Ce dispositif met en scène la contagion de l'insoumission et la force de la sororité.
Slogans, poèmes, et graffiti
Les slogans, les poèmes, les graffitis, les tatouages, sont intégrés au récit comme des éclats de parole, des actes de résistance. Le langage devient performatif, capable de transformer la réalité, de briser le silence, et de fédérer les opprimées. La poésie, omniprésente, offre une échappée, une consolation, et une arme contre l'effacement.
Analysis
« Badjens » de Delphine Minoui est un roman d'apprentissage et de révolte, qui donne voix à une génération d'Iraniennes longtemps réduites au silence. À travers le parcours de Zahra, le livre explore la violence du patriarcat, la transmission des traumas, la dissociation identitaire, mais aussi la force de la sororité, de la parole, et de la création. Le récit, fragmenté, polyphonique, mêle l'intime et le politique, l'histoire individuelle et la révolution collective. Il montre comment la révolte naît de l'accumulation des injustices, comment la peur change de camp, et comment la parole, une fois libérée, devient irréversible. Le roman interroge la possibilité de l'émancipation dans un système oppressif, la nécessité de la solidarité, et la puissance des gestes symboliques. Il offre une leçon d'espoir, de courage, et de résilience, affirmant que la liberté commence par le refus de se taire, et que chaque cri, chaque acte de désobéissance, est une victoire sur l'effacement.
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